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Ni monsieur ni madame pour les usagers des services fédéraux

Le gouvernement de Justin Trudeau tente tant bien que mal de calmer le jeu devant le barrage de critiques dont il fait l’objet à cause d’une consigne envoyée à ses fonctionnaires leur enjoignant de ne pas d’emblée aborder les citoyens avec les salutations genrées « Monsieur » ou « Madame ». Si le NPD se présente comme un allié dans ce débat, conservateurs et bloquistes y voient une préoccupation complètement déconnectée de celles des citoyens ordinaires.

Le document mis au jour par Radio-Canada mercredi émane de Service Canada. Il s’agit de « notes d’allocution pour les gestionnaires et les chefs d’équipes qui rencontreront leurs employés au sujet de l’usage du langage de genre neutre ».

« Nous vous demandons, personnel de première ligne, d’utiliser un langage neutre au niveau du genre », peut-on y lire. « L’usage de titres honorifiques dans les interactions avec les clients (Monsieur, Madame, Mademoiselle, etc.) peut également être perçu comme étant genre spécifique [sic] par le client. Les agents de Service Canada peuvent s’adresser aux clients par leurs noms au complet et leur demander de quelle façon ils préfèrent que l’on s’adresse à eux. »

Sentant la soupe chaude, le ministre responsable de Service Canada, Jean-Yves Duclos, a voulu assurer que les termes « Monsieur » et « Madame » n’étaient pas proscrits du vocabulaire des fonctionnaires. La question sera plutôt posée, a-t-il expliqué, « dans les cas où Service Canada n’est pas sûr de la façon dont on peut parler au citoyen ».

Mais voilà : les circonstances dans lesquelles la question devra être posée ne sont pas claires. Selon le ministre, c’est lorsqu’il n’est pas spécifiquement mentionné au dossier du citoyen qu’il veut se faire appeler Monsieur ou Madame. En coulisses, un responsable de son entourage prétend plutôt que les fonctionnaires utiliseront leur jugement : si par exemple le prénom et la voix du citoyen sonnent féminins, le fonctionnaire aura le droit de dire « Bonjour Madame X » en prenant soin de demander par la suite si elle accepte d’être abordée ainsi. Cette personne n’a pas pu expliquer en quoi une telle présomption respecterait la directive.

Les partis d’opposition à la Chambre des communes n’ont eu cure de ces louvoiements.

« Je suis un homme. Je ne m’excuserai jamais d’être un homme. Je suis un Monsieur », lance le conservateur Gérard Deltell. Son collègue Alain Rayes juge la chose « ridicule ». Steven Blaney s’est dit pour sa part « abasourdi ». « On fait un débat de sémantique superfétatoire », a-t-il lancé sarcastiquement au Devoir. Le chef Andrew Scheer voit dans cet épisode la preuve que lorsque Justin Trudeau a parlé à un rallye de « peoplekind » au lieu de « mankind » début février, il ne blaguait pas, contrairement à ce qu’il avait prétendu par la suite.

Chez les anciens députés bloquistes, la réaction est la même. « Ça devient presque farfelu. Il ne faut pas devenir fou avec ça », lance Rhéal Fortin. Il dit qu’il se « sentirait impoli » de s’adresser à quelqu’un par son prénom et son nom au lieu du « Monsieur » ou « Madame » d’usage.

Louis Plamondon va plus loin en voyant dans cette initiative la pensée politique profonde de Justin Trudeau. « On dirait que la réaction qu’il a eue avec les autochtones, que je crois correcte, a été interprétée comme devant se répandre dans toute la société, qu’il faudrait répondre oui à toute demande de pression qui peut exister ou toute demande que je qualifierais d’extravagante. Alors, pour ne pas déplaire à personne, toujours dans sa vision du multiculturalisme à l’extrême, il a provoqué ce genre de demandes de certains que je qualifierais presque de secte. »

Inversement, le chef du NPD, Jagmeet Singh, estime que l’initiative est positive, d’autant plus qu’elle est proactive. « Je pense que c’est une bonne idée. Si on veut créer une société où on respecte les droits des communautés par rapport à leur identité, il faut avoir des règles qui soutiennent les gens pour respecter leur identité. »

L’Agence du revenu du Canada, qui entre elle aussi souvent en contact avec les citoyens, ne s’est pas dotée d’un tel mot d’ordre. « Il n’y a pas de politiques en place traitant spécifiquement de l’utilisation d’expressions de genre neutre pour s’adresser à tous les contribuables », indique par courriel le porte-parole Karl Lavoie.

Des félicitations

Le Centre canadien pour la diversité des genres et de la sexualité (CCDGS) salue la décision de Service Canada. « Nous sommes tellement heureux, c’est une nouvelle fantastique et importante », lance Jeremy Dias, le directeur général du CCDGS. « Ça va faire avancer les droits des personnes transgenres et non binaires. » Mx Dias (refusant la binarité, Jeremy Dias préfère cette salutation anglaise qui se prononce « mix ») espère que tous les autres ministères fédéraux adopteront une politique similaire.

« Le gouvernement fédéral est un leader en cette matière. J’espère que ça va encourager les banques, les Walmart ou les communautés à travers le pays à changer la façon dont on parle. » Mais que répondrait-il à une personne tout à fait à l’aise avec son genre qui se sentirait insultée de se faire demander si on doit l’appeler « Monsieur » ou « Madame » alors que la chose paraît évidente ? « Oui, certainement, il y aura des gens qui seront peut-être heurtés par ça, mais la société change. Quand on explique à ceux qui sont heurtés, qui sont âgés ou qui pensent que c’est une stupidité, ils sont toujours heureux d’accommoder les gens. »

Jeremy Dias réfute l’idée qu’on enlève quelque chose aux personnes genrées pour accommoder une minorité. « On n’enlève rien ! On ajoute la question ! […] Le respect ne coûte rien, alors calmez-vous ! »

À Québec, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a indiqué que le gouvernement n’avait pas l’intention d’emboîter le pas à Ottawa. « On n’en est pas là pour le moment. » Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a pour sa part tourné en ridicule la consigne. « Il y a des limites, à un moment donné. Moi, je pense qu’il y a encore des “Monsieur”, des “Madame”. On est dans le dérapage complet ! »

Aucune statistique fiable sur le nombre de trans n’existe. Le chiffre de 1 % circule. L’Aide aux trans du Québec estime qu’une personne sur 6000 fera une transition. Lors du recensement de 2016, les répondants avaient l’option de ne cocher ni homme ni femme sur le formulaire. Cent personnes l’ont fait.

Avec Marie Vastel et Marco Bélair-Cirino

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