La loi 21 sur les signes religieux doit être maintenue, n’en déplaise à ses opposants, vient de trancher la Cour d’appel du Québec dans une décision majoritaire. La juge en chef a toutefois exprimé sa dissidence, affirmant qu’elle l’aurait pour sa part en partie suspendue.
«La grande majorité des principales religions pratiquées au Québec [...] ne semblent pas, à première vue du moins, faire du port de signes religieux au travail une exigence absolue de la foi. La loi ne vise donc pas à interdire l’accès à ces postes pour les chrétiens, les juifs, les musulmans ou les membres de la plupart des autres religions», écrit le juge Robert Mainville dans la décision rendue ce jeudi.
Le maintien de la Loi sur la laïcité de l’État, qui interdit entre autres aux enseignantes de porter des signes religieux durant leur quart de travail, était farouchement contesté par plusieurs organismes, avec en tête de file le Conseil national des musulmans canadiens.
Cet organisme ontarien avait plaidé en anglais qu’il se devait de «protéger cette province [le Québec]».
Une première contestation en cour supérieure avait toutefois échoué. Les opposants se sont donc tournés vers le plus haut tribunal du Québec, qui a également maintenu la loi dans une décision rendue à deux contre un.
Voix majoritaire
Fait rare, chacun de trois juges a fait part de leurs motifs séparément.
La juge Dominique Bélanger s’est ainsi dite d’accord pour affirmer que les enseignantes portant le voile subissaient un préjudice sérieux et irréparable. Sauf que le gouvernement Legault a inscrit dans sa loi la clause dérogatoire.
«L’utilisation de la clause dérogatoire fait en sorte que nous devons refuser de surseoir à la Loi, même si une personne [...] subit un préjudice sérieux et irréparable et que ses droits sont enfreints, à moins qu’il ne soit manifeste que la loi est invalide», écrit-elle dans ses motifs.
Le juge Robert Mainville a aussi tranché qu’à ce stade-ci, la loi devait être maintenue, en raison entre autres de l’utilisation de la clause dérogatoire.
Opposition
La seule opposition est toutefois venue de la juge en chef Nicole Duval Hesler, qui affirme que de permettre aux enseignantes portant le hijab «ne met pas à mal l’intérêt public» et que de suspendre temporairement la loi aurait été une bonne solution.
«Ordonner le sursis de la Loi ne vise certainement pas à leur donner gain de cause immédiatement, mais simplement à leur permettre de faire valoir leurs arguments quant à la validité de la Loi», écrit-elle dans sa dissidence.
La juge en chef affirme d’ailleurs que selon la preuve, les enseignantes musulmanes portant le voile subissent plusieurs préjudices «de divers ordres : problèmes financiers, problèmes psychologiques, humiliation, empêchement de poursuivre la carrière de leur choix» entre autres.
Rappelons que la juge en chef avait fait face à de vives critiques et que plusieurs personnes avaient mis en doute son impartialité dans cette affaire en raison de ses propos tenus lors de l’audience.
Dans une plainte déposée contre elle, le professeur et historien Frédéric Bastien a noté qu’elle s’était dite «féministe» tout en associant la loi 21 à une «allergie visuelle» aux signes religieux. Elle avait aussi estimé qu'il est «écrit en toutes lettres dans la loi» que celle-ci vise les femmes musulmanes voilées.
Le premier ministre François Legault avait par ailleurs dit comprendre les Québécois «préoccupés» par les propos de la juge Nicole Duval Hesler, tout en affirmant qu’il allait prendre «les moyens qui sont nécessaires» pour que la loi sur la laïcité soit appliquée même s’il recevait un jugement défavorable de la Cour d’appel.
Cela n’a toutefois pas été le cas.
Sur sa page Facebook, le Conseil national des musulmans canadiens s’est dit «déçu» du résultat, tout en assurant que l’organisme allait évaluer la possibilité de porter la cause en Cour suprême.
«Nous défendrons toujours la protection des droits des Québécois», a affirmé l’organisme.
Notons que la décision d’appel ne concernait qu’une suspension temporaire de la loi. L’audience sur le fond se tiendra l’année prochaine.
Ce qu'ils ont dit
« Nous continuerons à défendre le bien-fondé et la constitutionnalité de cette loi, comme ceux de toutes les lois adoptées démocratiquement par l’Assemblée nationale. »
– Sonia LeBel, ministre de la Justice
« [...] la saga judiciaire entourant cette loi-là n’est pas terminée. C’est une mauvaise législation et il faut qu’on sorte de cette idée que la laïcité de l’État, ça suppose l’interdiction des signes religieux. »
– Sol Zanetti, député solidaire
« Nous examinons maintenant nos options. Nous défendrons toujours la protection des droits des Québécois. »
– Mustafa Farooq, Conseil national des musulmans canadiens
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