
Quand on écrira l'histoire du premier gouvernement de la Coalition Avenir Québec, c'est probablement cette dernière semaine de janvier 2019 qui marquera l'apogée de la lune de miel du nouveau gouvernement dans l'opinion publique. Mais cela arrivera en même temps qu'il entame la difficile tâche de gouverner.
Comme c’est souvent le cas avec les partis qui n’ont jamais gouverné, les chiffres de la CAQ dans les sondages ont augmenté après son arrivée au pouvoir, surtout lorsqu'on a remplacé un gouvernement impopulaire et usé. En plus, la CAQ peut, temporairement tout au moins, bénéficier des appuis d’une part non négligeable de l’électorat péquiste, après la défaite cruelle du Parti québécois.
Mais le dur travail de gouverner commence maintenant et d’une façon inattendue : les ministres devront se livrer dès maintenant à des compressions budgétaires destinées à permettre de remplir les nombreuses et coûteuses promesses électorales de l’automne dernier.
Bien sûr, le gouvernement utilise les euphémismes habituels de « gains d’efficacité » et « d’attrition », le tout « sans effet sur les services à la population ». Mais plusieurs trouveront troublant d’entendre le gouvernement Legault utiliser exactement les mêmes mots que ceux de son prédécesseur.
Évidemment, les effets ne seront pas aussi douloureux. La CAQ a reçu des finances publiques en ordre et le gouvernement a déjà décidé qu’on ne couperait pas dans le secteur de l’éducation, là où les coupures libérales avaient fait le plus mal.
Mais il reste que lorsqu’on annonce « des gains d’efficacité dans la machine », on finit toujours par couper dans les services à la population. Parce qu’il n’y a plus, à Québec, des milliers de fonctionnaires qui ne font qu’attendre leur chèque de paie et dont on peut facilement se passer sans effet sur les services.
Le gouvernement Legault a sans doute raison de ne pas trop toucher aux surplus hérités des libéraux. Après 10 ans de croissance économique constante, les cycles économiques étant ce qu’ils sont, il faut s’attendre à un ralentissement ou même à une récession — même si personne ne le souhaite — et il vaut mieux être très prudents avec les réserves.
Mais couper dans les budgets, c’est toujours couper dans certains services à la population. Et ce qui a fait le plus mal au gouvernement précédent, c’est d’avoir nié pendant des années que les compressions avaient touché les services. M. Legault n’aura pas une très grande marge de manoeuvre sur ce plan.
Les épées à double tranchant
Gouverner, ça veut aussi dire accepter que les épées sont parfois à double tranchant. Prenez cette histoire du nombre d’enseignants qui porteraient des signes religieux à l’école. D’un côté, on ne peut pas vraiment blâmer le gouvernement de vouloir savoir combien de personnes pourraient être affectées par une loi qu’il se prépare à déposer.
L’ennui, c’est que pour les employeurs de ces enseignants, les commissions scolaires, demander de telles informations pourrait contrevenir à l’article 16.1 de la Charte québécoise des droits et libertés et constituer une forme de profilage. Ce qui explique que les commissions scolaires n’ont jamais voulu obtenir ces chiffres.
Les ministres du gouvernement Legault ont voulu minimiser la chose, et même s’il n’y avait rien d’irrégulier à demander s’il existait des chiffres, il y a quand même un petit malaise à les voir tenter d’obtenir des informations en sachant que les commissions scolaires n’auraient pu demander qu’illégalement.
Mais il y a aussi une jurisprudence « à double tranchant » dans cette affaire, celle qui veut que, pour restreindre un droit reconnu par la Charte québécoise ou la Charte canadienne des droits et libertés, il faut que le législateur agisse pour « un objet réel et urgent ». C’est ce qu’on appelle le test de l’arrêt Oakes.
Or, on sait déjà qu’il n’y a aucun juge et aucun policier au Québec qui porte un signe religieux. Le gouvernement caquiste pourrait difficilement prétendre que, pour les juges, les policiers et, pour autant qu’on sache, les gardiens de prison et les procureurs de la Couronne, sa loi s’attaque à un problème « réel et urgent », le réel devant nécessairement s’incarner dans du concret.
En fait, on risque surtout d’avoir l’air pas mal étrange, si on va jusqu’en Cour suprême pour se faire expliquer qu’on ne peut pas suspendre les libertés fondamentales pour un enjeu inexistant... Dans les circonstances, la clause de dérogation sera moins évidente à invoquer.
Et comme le diable est dans les détails, on apprenait mercredi, par M. Legault, que la loi sur les signes religieux ne s’appliquera pas aux écoles privées. Ainsi donc, il y aurait danger que des « personnes en autorité » puissent transmettre de mauvaises valeurs aux élèves des écoles publiques, mais pas à ceux des écoles privées. Et on n’a pas encore parlé de cet aspect du débat que sont les subventions de l’État que reçoivent ces écoles privées.
Politiquement, ce ne sera pas assez pour les tenants de la laïcité pure et dure et ce sera trop pour les autres. Ce sera aussi le cas pour une clause « grand-père » pour les enseignants déjà à l’emploi du gouvernement.
Bref, on se dirige tout droit vers les contradictions internes qui ont fini par miner la Charte des valeurs du Parti québécois, qui était pourtant plutôt populaire lors de sa présentation. On a déjà joué dans ce film...
Gouverner, c’est prévoir, dit le proverbe. Alors, M. Legault et son gouvernement devront maintenant prévoir toutes les conséquences, que ce soit dans les budgets ou dans la législation.
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