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Le premier joint de Charles

CHRONIQUE / Charles Gauthier avait 13 ans au moment de fumer son premier joint en cachette, une cigarette trouvée dans la poche du manteau de son grand-père, au chalet de ce dernier.

L’occasion fait le larron. Le petit-fils s’est laissé tenter même s’il savait que ce n’était pas une bonne idée. L’envie d’assouvir sa curiosité a eu raison de sa petite voix qu’il a fait taire en se disant qu’une fois n’est pas coutume.

Ça ne s’est pas passé comme prévu. Une bouffée et le mal était fait.

«Je suis tombé en amour avec la substance.»

Charles a les joues encore rougies par l’énergie déployée. Il vient de participer à un match de hockey dans le gymnase, une belle façon de terminer cette autre journée sans consommer.

«Je n’ai rien pris depuis trois mois.»

Assis, détendu, dans la grande pièce aménagée comme un salon, l’adolescent est volubile. Il a eu 17 ans vendredi.

Charles va de mieux en mieux. Physiquement et mentalement. Les deux thérapies précédentes ont échoué, mais cette fois-ci, c’est la bonne. Jamais deux sans trois.

«J’ai fait moi-même les démarches pour être ici.»

Je l’ai rencontré au centre Le Grand Chemin, à Saint-Célestin, un organisme à but non lucratif qui accueille des jeunes de 12 à 17 ans ayant une problématique de toxicomanie, de jeu excessif ou de cyberdépendance.

Le jeune homme de Shawinigan en est à sa sixième semaine de thérapie avec hébergement. Il est encore ici pour deux à quatre semaines avant de profiter de services en réinsertion sociale.

La psychose qu’il a faite, en juillet dernier, aura eu au moins ça de bon: lui donner une bonne frousse suivie d’une méchante prise de conscience.

Il était temps. Sa vie s’envolait en fumée.

À quelques jours du 17 octobre, Charles ne voit pas d’un bon œil la légalisation du cannabis.

«Ça me fait vraiment peur. Mes 18 ans ne sont pas loin... Ma mère ne pourra plus me dire: «Charles, tu as consommé. Tu t’en vas en thérapie. Ça va être le free-for-all. Si je ne veux pas m’aider, je vais être le pire là-dedans.»

L’avenir le dira, mais pour l’instant, Charles n’est pas convaincu que cette loi parviendra à garder le cannabis hors de la portée des jeunes.

Il rappelle que les ados parviennent déjà, et assez facilement merci, à boire de la bière en passant par un adulte, parfois même un parent, qui accepte de leur en acheter au dépanneur du coin. Ce ne sera pas différent avec le pot. À défaut d’en obtenir dans la rue, ils trouveront un chum de plus de 18 ans pour leur fournir de la marijuana achetée dans un point de vente de la Société québécoise du cannabis.

Charles les entend d’ici: «Ce n’est pas si pire que ça, le pot. À preuve, c’est maintenant légal.»

Il a des petites nouvelles pour eux. Le cannabis est peut-être considéré comme une drogue douce, mais ses effets peuvent être dévastateurs.

«J’ai déjà rencontré un gars de 14 ans qui a pris neuf fois du cannabis et qui a fait une psychose irréversible. Aujourd’hui, il est schizophrène.»

Dès le lendemain de cette première fois au chalet, Charles Gauthier a fumé de nouveau. En l’espace de quelques mois, il est devenu un consommateur régulier qui avait besoin de son joint quotidien, notamment pour diminuer son anxiété face à l’intimidation qu’il subissait en raison de son surplus de poids.

«Au début, c’était cool, ça m’aidait à fuir la réalité, à être moins stressé et à dormir le soir.»

C’est devenu moins drôle lorsqu’il s’est mis à réclamer sa dose au réveil, à l’heure du dîner, en revenant de l’école et avant d’aller se coucher.

À la combinaison d’alcool et de cannabis se sont ajoutées des amphétamines. Et même si Charles s’était juré de se tenir loin des drogues chimiques, un soir de juillet dernier, il n’a pas su dire non à une amie qui lui a offert de l’ecstasy.

Pour Charles, ça a été la goutte de trop. Quand sa mère l’a trouvé au sous-sol, ses dents claquaient, son corps tremblait, sa pensée était confuse, il imaginait des papillons autour de lui... Le délire quoi.

«Tu fais une psychose», lui a annoncé l’infirmière en santé mentale avant de le conduire à l’hôpital où il est demeuré pendant deux jours.

Tout ça pour un joint trouvé dans la poche d’un manteau.

Charles est le premier à admettre que l’interdit est attirant, surtout à l’adolescence où on a souvent la banalisation facile.

«À 13 ans, je me disais que la bière, ce n’était pas si pire. C’est légal et ma mère en boit.»

Charles craint que ce soit la même chose avec le cannabis. Des gars et des filles vont raisonner en tournant les coins ronds.

«L’adolescent qui va voir ses parents en train de fumer un joint, pour relaxer, va se dire que, lui aussi, il peut en fumer un pour décompresser. Ce n’est pas si grave. C’est légal.»

On revient toujours au même point, au message envoyé, reçu et interprété.

Charles n’est pas en train d’exagérer, de dramatiser. Lui aussi a des amis qui consomment de la marijuana une fois de temps en temps et ça s’arrête là. Ils ont pris un risque et ont été chanceux. Contrairement à lui, ils n’ont pas développé une dépendance. Tant mieux pour eux.

Le jeune homme s’inquiète davantage pour ceux et celles qui profiteront de la légalisation du cannabis pour l’essayer, sans avoir pris le temps de s’informer des effets sur la santé. Ils pourraient avoir une mauvaise surprise, comme lui au lendemain de cette première expérience au chalet.

Charles espère que son témoignage fera une différence. Il pense à sa petite sœur de 13 ans qui vient de commencer son secondaire. Elle ne le sait pas, mais son frère fait énormément d’efforts pour être, à ses yeux, un modèle à suivre.

«En finissant ma thérapie, je veux lui donner l’exemple qu’on peut être heureux sans consommer.»

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