Deux mille étrangers inscrits dans un cégep de région, mais qui étudient en anglais à Montréal : la nouvelle du Devoir était déjà assez stupéfiante.
Mais c’est encore plus bizarre. Et c’est encore pire.
Il s’agit en fait d’une vraie business de rabattage d’élèves indiens qui, pour 14 000 $ par année, viennent chercher non pas un vrai diplôme d’études collégiales (DEC), mais une simple « attestation d’études ».
L’affaire, parce que c’en est une bonne, rapporte présentement 28 millions par année. La somme est séparée moitié-moitié entre un entrepreneur indien controversé et le cégep de Gaspé.
Mais commençons par un quiz.
Combien y a-t-il d’élèves étrangers au total dans les 12 cégeps publics de Montréal ?
1429.
Combien y a-t-il d’élèves étrangers au seul cégep de la Gaspésie et des Îles ?
1523.
Ces données sont les dernières disponibles à la Fédération des cégeps et datent de 2018. Les élèves étrangers de l’établissement gaspésien sont maintenant autour de 2000. Et on prévoit faire passer le contingent à 2500 dès cette année.
Ces élèves n’ont pas la chance d’être en Gaspésie, ni aux Îles. Ils sont dans 30 salles de classe, dans un immeuble privé du boulevard Henri-Bourassa. Et à 14 000 $ le client, ça fait 28 millions, 35 millions bientôt.
Ils ne sont pas de « vrais » élèves de cégep. Ils suivent des cours d’informatique, d’éducation à l’enfance, de logistique du transport, de gestion de projet, de développement d’applications pour téléphones mobiles, etc.
Une formation essentiellement technique, mais partielle, puisqu’elle ne débouche que sur une AEC. Rien de mal là-dedans, sauf que c’est cher payé, 14 000 $ par année, pour une attestation. Certains étudient deux ans.
Le cours ne débouche sur aucune voie accélérée d’immigration, comme le Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Il permet d’obtenir un permis de travail d’un an, parfois renouvelable un an.
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Les Montréalais l’ignorent, mais sans les élèves étrangers, plusieurs cégeps en arracheraient en région, où les jeunes continuent de partir à vitesse grand V. Ils sont 220 à Saint-Félicien, 217 à Jonquière, 162 à Chicoutimi, 309 à Matane, 96 à Baie-Comeau…
Ils sont non seulement de l’oxygène pour ces cégeps, mais pour les villes aussi. Ils étudient en français, s’intègrent à la réalité québécoise, ont accès ensuite à une voie rapide vers le statut de résident permanent.
Mais ce dont il est question ici n’a rien à voir. Enfin, si, ça a quelque chose à voir : l’argent. Le cégep de la Gaspésie et des Îles dégage un « profit » d’environ 1 million avec son étrange campus indien. Mais est-ce vraiment son rôle de s’associer avec un homme d’affaires pour faire payer le gros prix à des élèves étrangers qui se retrouveront avec une « attestation » ?
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Hier, Sylvain Vachon, directeur de la formation continue du cégep, m’a expliqué n’avoir aucun problème avec le concept.
D’abord, pour être accepté par les autres cégeps, Gaspé s’est engagé à n’ouvrir le programme qu’à des étrangers – donc pas de compétition directe.
M. Naveen Kolan a lui-même pris contact avec le cégep en 2014 pour offrir d’amener des élèves indiens. Gaspé est un cégep bilingue, mais tout de même, pourquoi Gaspé ?
On aime tous la Gaspésie, mais ça ne vient pas en haut de la liste des cégeps, ni géographiquement ni alphabétiquement.
« Peut-être que les autres cégeps de Montréal faisaient déjà le plein d’étudiants, ou trouvaient ça complexe, parce que ça sortait un peu des cadres, mais nous avons une forte culture entrepreneuriale », avance M. Vachon.
On a commencé par 35 élèves en 2015, discrètement…
M. Kolan a diverses entreprises, dont Edu Edge et Matrix. C’est Matrix qui fournit l’immeuble, qui recrute les élèves, et le cégep embauche les profs, les techniciens, etc. Une centaine de personnes ont été embauchées par le cégep. Tout ça est entièrement privé et n’inclut pas un sou du gouvernement. Ce n’est donc pas un de ces cas de campus d’université de Rimouski à Lévis, Laval à Laval, Sherbrooke à Longueuil, etc. C’est « autofinancé » et dans un immeuble de Matrix.
« Matrix fait un très bon travail », les élèves sont bien sélectionnés, ont les aptitudes requises et réussissent très bien, dit M. Vachon. « Nous, on fournit les services éducatifs, et on ne lésine pas sur la qualité. »
Lui et d’autres membres de la direction se sont rendus en Inde une fois, mais aux frais du cégep. Matrix « déploie » des agents en Inde, organise des salons, et les incite à venir étudier en Gaspésie, pour ainsi dire.
En 2019, les affaires allaient tellement bien qu’un contrat de 10 ans a été signé, avec un objectif bientôt atteint de 2500 élèves.
Les affaires vont bien pour les associés, mais qu’en est-il des élèves ? Que leur arrive-t-il après ?
Le cégep n’a pas encore eu le temps de faire un suivi, reconnaît-il.
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Mais au fait, qui est donc Naveen Kolan ?
Ses entreprises ont fait le même genre de partenariat avec des collèges communautaires ontariens, jusqu’à ce que le gouvernement instaure des quotas. C’est alors qu’il s’est tourné vers le Québec. M. Kolan a fait la manchette dans les médias anglophones du Québec il y a quatre ans, justement pour un programme du genre en partenariat avec la commission scolaire Lester B. Pearson. Les élèves indiens payaient 22 000 $ par année pour étudier dans des écoles à vocation particulière de l’Ouest-de-l’Île. À un certain moment, 300 élèves indiens étaient installés dans un campus du centre-ville, et rapportaient plus de 6 millions par année – toujours selon un modèle 50-50. Une querelle a éclaté avec la commission scolaire et les médias ont rapporté qu’une enquête avait été ouverte à l’UPAC. Le ministère de l’Éducation s’est aussi intéressé au dossier.
« Des enquêtes, on en lance, vous savez, mais il n’a été accusé de rien et il m’a donné des explications qui m’ont satisfait », dit M. Vachon.
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Tout est donc « légal », mais ça n’en est pas moins vaguement absurde.
Est-ce vraiment la manière de combler le problème de financement des cégeps en région et des cégeps tout court ? On en est rendu là ? À offrir des sous-diplômes à des prix d’études universitaires privées, qui débouchent sur on ne sait pas quoi, mais sûrement pas des études supérieures ? Le tout hors Gaspésie, hors mandat aussi, dans une sorte de « deal » qui sent l’exploitation ? On leur vend le rêve de l’immigration, c’est bien évident. Mais ça n’y mène même pas.
On a compris que Naveen Kolan s’est dirigé au Québec quand il a saturé le marché ontarien. Mais évidemment, tout se passe en anglais parce que tout se passe comme nulle part.
On a compris que n’est pas la continuation de la mission de ce cégep, ni une réponse à un besoin exprimé par le gouvernement. Ce n’est pas un projet éducatif. C’est une « occasion d’affaires ».
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